Après des décennies de promesses, l’Intelligence Artificielle est entrée dans notre quotidien. Cette démocratisation entraîne une augmentation de son empreinte physique due à la consommation énergétique des data centers.
L’AIE estime qu’à l’échelle mondiale, ce type d’infrastructure représente 1,5 % de la consommation électrique en 2023, soit environ 400 TWh. Les États-Unis dominent le secteur avec plus de 50 % des capacités de calcul mondiales pour 176 TWh consommés d’après une étude de Berkeley Lab. D’ici 2030, la consommation mondiale pourrait atteindre entre 1000 TWh et 1500 TWh. Le scénario de référence de l’AIE (Stated Policies) prévoit que le secteur représentera environ 10 % de la croissance de la demande électrique, soit 700 TWh, à ajouter à la consommation actuelle, totalisant 1100 TWh. Aux États-Unis, la demande pourrait atteindre de 300 TWh à près de 600 TWh (graphique suivant).
Les grandes incertitudes de ces estimations s’expliquent pour plusieurs raisons.
Depuis 2019, la demande a fortement augmenté sans l'IA générative, car les usages en ligne ont explosé depuis le Covid. Il est compliqué de connaître la part de l'IA dans la consommation d'énergie des data centers. Les données sont peu communiquées, manquent de standardisation et mêlent souvent des usages IA/non IA. Cette limitation pourra être atténuée par l'utilisation de puces spécifiques (GPU, TPU) pour l'IA.
On peut néanmoins dire qu’aujourd’hui l’usage de l’IA générative, comme une requête ChatGPT, est plus énergivore qu’une requête Google (un facteur 10 semble cohérent). La consommation future pourrait exploser avec la diversification (images, sons, etc.) et la démocratisation des usages. Mais, après une première phase de croissance, elle pourrait aussi se stabiliser, comme le secteur l’a déjà démontré, grâce à d’énormes gains d’efficacité au niveau software et hardware (par exemple avec le développement des TPUs).
Au niveau international, le scénario de l’AIE montre que la croissance énergétique du secteur risque d’être similaire à celle des technologies de dessalement, mais nettement moindre que celle liée à la nouvelle demande pour l’air conditionné ou les véhicules électriques.
Pour autant, la tendance à la hausse semble avérée et des articles réguliers sur le sujet, comme la tribune récente d'Eric Schmidt dans Le Monde, préconisent des investissements massifs dans la production d'électricité pour y faire face. C'est dans ce contexte que l'on peut comprendre les intérêts des GAFAM dans le nucléaire, notamment les centrales de grande taille et les SMR. Les centrales à gaz pourraient également se développer à cause de cette demande.
Cette vue d'ensemble est toutefois partielle car elle cache la pression géographique très concentrée du secteur. L’IA générative pousse le développement de data centers plus puissants, passant de moins de 10 MW à 75-150 MW aujourd’hui et déjà 500 MW à 1 GW en projet (comme en Arabie Saoudite). D’ailleurs les annonces récentes concernent surtout des data centers servant à l’entraînement des IA. Ils demandent une consommation d’énergie stable et prévisible pour leurs calculs intensifs. Ils n’ont pas besoin d’être localisés dans des lieux spécifiques et une grande partie sera sans doute située aux Etats-Unis. Les data centers servant à l’utilisation des modèles (inférence) ont des charges variables et doivent être proches des utilisateurs pour une latence réduite. Leur consommation agrégée est potentiellement plus importante que pour ceux de la phase d’entraînement. Leur impact sur les réseaux locaux est plus difficile à anticiper.
C’est à ce niveau que le futur du secteur se joue. Si la consommation des data centers représente 4,4 % de la consommation électrique aux États-Unis, elle est déjà à plus de 10 % dans 5 états fédéraux. Ce chiffre monte à plus de 20 % en Irlande ! Cet impact amène déjà à des arbitrages pour l’opérateur du réseau de Dublin ou le régulateur américain (FERC). Au croisement d’enjeux locaux et internationaux, l’essor de l’IA va donc demander de nouvelles stratégies énergétiques. L’enjeu est technique, économique et géopolitique.