A la veille des élections européennes, la période est au bilan du Green Deal (Cf. l’événement Zenon du 26 avril).Dans ce contexte, deux think-tanks français, I4CE et l’Institut Rousseau, ont récemment publié des analyses sur les financements climat européens.Ils apportent des éclairages bienvenus dans la mesure où chiffrer les investissements climat est une boussole politique qui n’était pas suffisamment disponible. Dans son rapport de janvier 2024, Vers la neutralité climat européenne : progrès, gaps politiques et opportunités, le conseil scientifique européen sur le changement climatique déplorait le manque d’information disponible sur les investissements requis pour financer la transition.
Président d’I4CE, Jean Pisani-Ferry soulignait lors de la présentation du rapport Déficit d’investissement climat européens, une trajectoire d’investissement pour l’avenir de l’Europe, le contexte économique européen substantiellement plus tendu qu’au lancement du Green Deal, et la tendance actuelle au durcissement budgétaire, qui rendent d’autant plus nécessaire de disposer de méthodes objectives pour comparer les actions d’investissements aux objectifs de décarbonation.
Déjà, en mai 2023, le rapport Pisani-Ferry Mahfouz sur Les incidences économiques de l’action pour le climat avait signalé l’urgence d’une mobilisation économique majeure, avec une accélération « brutale », analogue à une révolution industrielle mais « plus rapide », et des besoins d’investissements supplémentaires annuels pour la France estimés à 34 Mds d’€, soit 2% du PIB en 2030.
L’étude d’I4CE estime les investissements nécessaires en se basant sur les objectifs de l’UE pour 2030, en volumes de technologies (GW installés, etc.), et des hypothèses de coûts tirées de la littérature spécialisée. En 2022, les investissements publics et privés observés dans les 22 secteurs de technologies considérées (EnR, réseaux, transport, bâtiments), ont atteint 407 Mds, soit 9% de plus qu’en 2021. Cependant, l’étude estime qu’il faudrait 813 Mds, soit le double, chaque année, pour atteindre les objectifs de 2030. Le déficit d’investissements est donc estimé à 406 Mds/an, les secteurs présentant les plus gros déficits actuellement étant l’éolien, les réseaux électriques, la rénovation thermique des bâtiments, les pompes à chaleur, le train et les voitures individuelles. Le rapport conclut sur la nécessité d’établir, à court terme, un plan d’investissements verts européen.
En janvier 2024, l’Institut Rousseau avait quant à lui publié son rapport Road to Net Zero (180 pages contre 40 pour le rapport I4CE), qui propose une approche plus détaillée, fruit d’un travail impliquant 150 chercheurs d’une dizaine d’institutions européennes partenaires. L’étude analyse en détail 7 pays (France, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Pologne, Suède) représentant 77% du PIB de l’EU-27 GDP et 73% des émissions domestiques, et extrapole les estimations à l’ensemble de l’UE. Pour chacun des 37 leviers sectoriels étudiés, le rapport construit un scénario de transition vers la carboneutralité en 2050 (inspiré par d’autres mais original), évalue les investissements nécessaires, et le compare à un scénario Business as Usual (BaU), de non-transition. L’estimation finale chiffre l'investissement total nécessaire à 1520 Mds/an d’ici à 2050 dont 360 Mds/an de sur-investissement nécessaire par rapport au scénario BaU, soit 2.3% du PIB, chiffre similaire à l’estimation de I4CE ou du rapport Pisani-Ferry Mahfouz pour la France.
Pour Guillaume Kerlero de Rosbo, coordinateur du rapport, leur estimation de l’investissement total nécessaire est aussi très proche du chiffre de 1 500 Mds/an donné par la Commission Européenne (dans son étude d’impact de l’objectif de réduction de 90% des émissions en 2040), cependant les méthodes diffèrent sensiblement. Le périmètre analysé par la Commission est plus restreint, mais les mesures coûtent plus cher. La différence principale tient aux mesures de sobriété beaucoup plus fortes scénarisées par l’Institut Rousseau. Ainsi, pour le transport, l’Institut Rousseau modélise à part entière le rôle du report modal, avec une place accrue prise par le train et le vélo. Le rapport de l’Institut Rousseau est aussi plus exhaustif dans la mesure où l’étude d’I4CE n’inclut pas l’industrie, et celle de la Commission le fait mais sans inclure l’hydrogène et le power to gaz. De manière générale, souligne Guillaume, plus de sobriété sur les choix technologiques permet de plus facilement financer la transition.
L’Institut Rousseau quantifie aussi les parts respectives de 30% d’investissement public, et 70% privé, ce qui indique qu’une stratégie politique vise notamment à orienter les investissements privés par la planification, les incitations et les réglementations.
Une remarque commune à tous les rapports est que le chiffrage concerne uniquement les CAPEX et non les OPEX. Cependant, comme l’indique Guillaume Kerlero, les OPEX des uns sont souvent les CAPEX des autres. Le message majeur commun à tous les rapports reste que transitionner est non seulement nécessité absolue mais aussi source d’importants bénéfices en termes de résilience et de souveraineté économique ; en particulier, sortir des énergies fossiles permettrait à l’Europe d’économiser 650 Mds/an en importations, qui sont des coûts courants, et non des investissements.
Credit image :greenpeace.org