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27.2.24

L’Agence Internationale de l’Energie a 50 ans : de la sécurité énergétique à la lutte climatique

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L’Agence Internationale de l’Energie a 50 ans : de la sécurité énergétique à la lutte climatique

Née au lendemain du 1er choc pétrolier et initialement focalisée sur la sécurité des approvisionnements pétroliers des pays occidentaux, l’AIE est devenue une référence mondiale avec son rapport annuel sur l’énergie (le World Energy Outlook – WEO). Longtemps perçue comme proche des intérêts fossiles, et réticente à la transition, elle s’est muée depuis 2020 en guide emphatique de la lutte contre le changement climatique, avec ses scénarios de zéro émission nette en 2050 - qui lui attirent une critique nouvelle, du côté des intérêts fossiles.

Naissance sous crise

L’AIE n’est pas née dans le cadre de l’ONU et au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Elle a été créée, en novembre 1974, dans le cadre de l’OCDE, rassemblant d’abord les Etats-Unis et 15 autres pays, principalement européens, au lendemain de la Guerre de Kippour et de la décision de l’OPEP de baisser sa production de 25% et d’imposer un embargo pétrolier aux pays qui soutenaient Israël. Le prix du baril passe alors de 4 à 13$. La mise en place de l’AIE est donc d’abord une réponse des pays occidentaux menacés dans leurs approvisionnements pétroliers.

Mission première : la sécurité énergétique pétrolière

L’AIE, créée à Paris, a ainsi pour mission première de sécuriser les approvisionnements pétroliers de ses États membres, en les outillant pour anticiper, prévenir et éventuellement faire face à des chocs sur l’offre en pétrole. Elle est en somme, un organe d’intelligence défendant les intérêts des pays importateurs de pétrole, face à l’OPEP. A cet effet, elle maintient des bases de données sur toutes les formes d’énergies et prône la diversification des sources d’énergie et des filières d’approvisionnement. Autre disposition majeure, l’Agence exige de ses pays membres, condition sine qua non pour la rejoindre, de disposer d’un stock stratégique équivalent à au moins 90 jours d'importations nettes de pétrole brut. En cas de choc de production lié à une guerre ou à une catastrophe naturelle, L’AIE peut coordonner des mises sur les marchés de pétrole depuis les stocks stratégiques de ses pays membres.

Depuis sa création en 1974 l’AIE n’a organisé que 5 libérations de stocks stratégiques : en 1991 pendant la guerre du Golfe, 2 mbpd (millions de barils par jour) - environ 4% de la production globale de l’époque - ont été libérésen 2005 suite aux sévères dommages des ouragans Katrina et Rita sur les infrastructures texanes, 2 mbpd ont été libérés pendant pour 30 jours, soit 60 mb au totalen 2011 lors de la crise libyenne, 2 mbpd libérés pendant 30 joursen mars et avril 2022, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, au total 240 mb ont été libérés sur une période de 6 mois, dont 180 mb par les Etats-Unis seuls - pour une production journalière globale de 100 mbpd - portant ces volumes à une échelle alors jamais atteinte (9% des réserves d’urgence).

Référence mondiale sur les données et modélisations de l’énergie

Les années passant, le travail de l’AIE s’étoffe et se diversifie. Au-delà de la compilation de données et des analyses technologiques dans chaque secteur énergétique, l’Agence étend son action à la coopération et au “dialogue énergétique global”. Ainsi, dès les années 1980, l’AIE participe aux premières réunions mondiales sur les énergies renouvelables, et dès 1989, aux premiers travaux du GIEC. Outre ses publications récurrentes, en particulier, dès 1977, le World Energy Outlook (WEO), référence sur tous les sujets énergétiques, l‘Agence réunit des colloques d’experts internationaux, évalue les programmes énergétiques des pays membres et non-membres, et élabore des études et recommandations pour ses membres, mais aussi pour le G7, la Commission européenne et des pays non-membres. Depuis 1993, grâce aux outils numériques, l’AIE produit des modélisations prospectives globales à long terme, qui cadrent l’ensemble de ses études plus sectorielles ou régionales.

Les modèles prospectifs de l’AIE. Dans son World Energy Outlook, l’AIE présente chaque année plusieurs scénarios (souvent 3) pour l’évolution du système énergétique global, dans une vingtaine de macro-zones géographiques, secteur par secteur, du présent jusqu’à 2050 ou 2070. Les scénarios sont construits de manière hybride, avec beaucoup d’hypothèses technologiques et de coûts, qui évoluent dans le temps avec la maturation des filières, des hypothèses exogènes pour les populations et les croissances économiques, et des répartitions et déploiements de technologies qui sont souvent posés “à la main”, mais parfois aussi déterminés par optimisations sectorielles partielles. Les scénarios sont de 3 grands familles : les scénarios type “business as usual”, dans la continuité des politiques actuelles (“Stated Policies Scenario”)les scénarios supposant que les annonces politiques actuelles, notamment les objectifs de décarbonation, sont respectées (“Announced policies scenario”)les scénarios d’évolution soutenable, qui modélisent des trajectoires de ce qu’il faudrait faire en vue d’un objectif donné, notamment, le “Sustainable Development Scenario”, compatible avec l’objectif 2 degrés de l’Accord de Paris, et depuis 2021, le scénario “Net Zero 2050”, supposé compatible avec la limite à 1.5 degrés.

Les deux critiques : un cadrage occidental et énergétiquement conservateur

Durant de nombreuses années cependant, L’AIE a fait l’objet de deux critiques principales. D’une part, l’AIE a été accusée de favoriser les intérêts de ses membres, club de pays occidentaux, riches et puissants, au détriment des pays en développement. Notamment, sa conception de la sécurité énergétique, longtemps focalisée sur l’approvisionnement pétrolier à bon marché de ses pays membres, n’a que récemment ouvert une place aux questions d’accès à l’énergie dans les pays en développement. On notera aussi qu’au lendemain de la Guerre Froide et contrairement à d’autres grandes organisations internationales, l’AIE ne s’est pas transformée en Organisation Mondiale de l'Énergie. Son membership reste limité à une quarantaine d’Etats du monde, en superposition forte avec le périmètre de l’OTAN, et à l’exclusion notamment des pays de l’OPEP, de la plupart des pays d’Afrique, et surtout, des grands absents : la Russie, la Chine et l’Inde, même si les deux dernières sont devenus des « pays associés ».

Second grief majeur, l’AIE a beaucoup été accusée d’être influencée par les grands intérêts industriels et fossiles, compromettant son objectivité dans l'analyse des politiques énergétiques, et d’avoir très mal anticipé - voire, de n’avoir pas voulu accepter - la montée en puissance des énergies renouvelables à partir de la décennie 2000. En particulier, les projections de déploiement du photovoltaïque ont été fortement et systématiquement sous-estimées dans les scénarios du WEO pendant toute la période 2006 - 2018, à la grande indignation des tenants de cette industrie et des ONG écologistes. Alors que le consensus international sur l’urgence climatique se consolide en 2015 avec les Accord de Paris, l’AIE semblait encore faiblement capable de porter une ambition suffisante dans la lutte contre le changement climatique. Elle est aussi souvent accusée de verser trop dans le technosolutionisme et d’accorder trop de crédit à des solutions pas assez démontrées, par exemple, la capture et séquestration du carbone. Le traitement insatisfaisant par l’AIE des énergies renouvelables a même entraîné, en 2009, la création de l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables (IRENA) avec un membership beaucoup plus important (169 membres en 2023).

D’une critique à l’autre - la métamorphose climatique de l’AIE

Depuis 2015, sous l’impulsion de son nouveau directeur Fatih Birol,, l’AIE a connu des évolutions significatives. Elles ont probablement été accélérées par la pression de la société civile et d’ONG écologistes anti-fossiles, et  notamment par l’interpellation solennelle, en 2019, dans une lettre de 60 décideurs (scientifiques, investisseurs, dirigeants d’entreprises et de grandes institutions) qui appellent l’AIE à mettre pleinement en avant un scénario de développement durable (SDS), qui ne soit pas seulement en ligne avec l’objectif 2 degrés mais avec l’objectif 1.5 degrés.

En 2021, l’AIE publie alors pour la première fois un scénario Net Zero Emissions 2050 (zéro émissions nettes en 2050), compatible avec l’objectif 1.5 degrés, qui est le succès éditorial le plus important de l’Agence. Dans ce scénario, plusieurs nouveautés apparaissent, notamment le recours à des mesures de sobriété via des changements de comportements, qui sont incorporés dans la modélisation pour la première fois (par exemple la réduction de trajets domicile travail via le télétravail). Des déploiement très ambitieux des technologies propres sont à présent pleinement modélisés : énergies renouvelables, hydrogène, électrification des transports et de l’industrie, capture carbone, etc.). Le solaire, autrefois délaissé, est même à présent reconnu comme « le nouveau roi » des marchés de l’électricité.

Autre évolution prépondérante : l’AIE élargit son acception de la sécurité énergétique en intégrant la question des minéraux critiques (1er rapport sur cette question en 2021) et en dédiant un focus de plus en plus prononcé à l’analyse des complexités et des résiliences des chaînes de valeurs industrielles – fortement mises en questions par les crises Covid et énergétique liée à la guerre en Ukraine.Un des messages récents les plus marquants portés par « l’AIE 2.0 » est la non-nécessité, dans le scénario Net Zero 2050, d’investir dans de nouveaux projets fossiles, à partir de 2021 (hors investissements de fonctionnement des projets en exploitation). Ce message, bien reçu par les activistes du climat, a suscité de vives critiques de la part de défenseurs des industries fossiles, et des pays pour qui cette ressource est économiquement significative - actant un renversement, ou du moins, une diversification des critiques faites à l’Agence.

Autour de la COP 28, l’OPEP aussi, s’est montrée ouvertement très critique du message de l’Agence, selon lequel tous les combustibles fossiles devraient voir un pic de production avant 2030. Autre expression d’un mécontentement similaire, Robert McNally, ancien conseiller à l’énergie de G.W. Bush, déclarait récemment que « les prédictions à long terme de l’AIE ne sont plus fiables », car elle a « succombé à la politisation » et aux « censeurs verts ».

Un Communiqué Ministériel qui confirme le cap

A l’issue du 50è anniversaire de l’AIE célébré à Paris le 14 février, et du 287è Sommet Ministériel qui y a été tenu, un Communiqué a été publié par son Governing Board (fait peu fréquent, les deux derniers datant de 2022 et 2020). Ce Communiqué a conforté pleinement les évolutions récentes de l’Agence, en particulier, réaffirmé comme mission prépondérante de “mettre le changement climatique et le développement durable au centre de ses activités et analyses”.  Les enjeux de sécurité énergétique restent également au premier plan, en effet, la crise énergétique de 2021 - 2022, considérée comme la première crise énergétique réellement planétaire, et le rôle joué par l’AIE, n’ont fait que confirmer l’importance encore très actuelle de cette mission - y compris sur les stocks stratégiques de pétrole.

Parmi les missions réaffirmées de l’Agence, le Communiqué souligne l’importance des scénarios Net Zero 2050 en vue de l’objectif 1.5 degrés, ainsi que les objectifs formulés par l’AIE pour 2030 lors de la COP 28 (décembre 2023) : triplement des capacités renouvelables globales, doublement des progrès annuels en efficacité énergétique, réduction d’au moins 75% des émissions de méthane du secteur énergétique. Il demande aussi à l’Agence de mettre en place un “programme de sécurité sur les minéraux critiques”, et lui enjoint de poursuivre la coopération entre tous les pays, particulièrement les pays émergents, et d’oeuvrer en vue de “l’accès à l’énergie abordable pour tous”, dans le cadre de “transitions centrées sur les peuples”. Malgré les turbulences suscitées par sa mue récente, à son entrée dans la cinquantaine, forte de ses près de 350 employés, sa quarantaine de programmes de collaboration technologique, et nombreux autres partenariats, l’AIE voit son rôle de guide de transition énergétique globale approuvé, et son cap renforcé.

Autres sources

Agence Internationale de l’Energie, Origines et Evolutions, Parlement Européen, 2016, https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2016/582015/EPRS_IDA(2016)582015_FR.pdfAnca Gurzu, “As climate ‘referee,’ IEA chief faces scrutiny”, Cypher, February 21, 2024.https://fr.wikipedia.org/wiki/Agence_internationale_de_l%27%C3%A9nergiehttps://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2004_2009/documents/dv/cv_birol_/cv_birol_en.pdfhttps://www.iea.org/topics/the-ieas-50th-anniversary (Histoire de l’AIE par l’AIE).https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/agence-internationale-de-lenergie-aie#notes

Credit image : International Energy Agency

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